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  • Photo du rédacteurLaurent Puech

"Explosion", "records", "+36% de plaintes"... Face au faux, les faits !

Dernière mise à jour : 14 juil. 2020

De même que le virus Covid-19 n'a pas disparu du fait de l'arrivée des fortes chaleurs, les expressions et présentations trompeuses concernant les violences conjugales ne semblent pas souffrir non plus en ce début d'été.

A tel point que je pense nécessaire de revenir sur ces idées erronées qui se transforment en vraies par le processus magique de la répétition et de la reprise démultipliée. Car à l'heure du copié-collé rapide après un passage par google, il est plus facile même pour un journaliste de reprendre un truc "vraisemblable" que de donner une information juste.


Prenez France Inter et cette présentation datée du 5 juillet 2020. Elle accompagne la rediffusion d'un intéressant numéro d'Interception datant de novembre 2019, sur un vrai sujet "Violences conjugales, l'épreuve de la plainte". Que contient cette page présentant le thème, laquelle est bien actualisée ? Au moins trois affirmations ou données discutables ou fausses :


Discutable

"Malgré le nombre record de féminicides en France, nos institutions tardent à mieux recueillir la parole des victimes."

Un nombre record de féminicides (femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint masculin) nécessite de dire sur quelle période. Le chiffre donné est précisé : "En 2019, il y a eu en France au moins 126 féminicides, recensés par l'Agence France Presse. Soit une femme tuée tous les trois jours."

Si vous prenez les années 2018 et 2019, le nombre de féminicides en 2019 en fait une année "record". Mais si vous prenez les mêmes données depuis les années 2006, alors 2019 est en nombre de victimes derrière 2008, 2010, 2011, 2012, 2014 (cf note en fin bas de page). Alors, à part l'effet de dramatisation via un implicite (nombre de mortes atteint des sommets et les institutions ne font pas grand chose), cette phrase est factuellement discutable, comme l'est le procédé utilisé.



Faux

"La crise sanitaire que nous traversons a-t-elle amplifié le phénomène? Il est sans doute un peu tôt pour le dire. Mais la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa estime que les plaintes déposées pour violences conjugales sont en hausse de 36%."

De la prudence de la première phrase, nous sautons juste après dans le faux aisément vérifiable pourtant. Certes, si l'on va sur différentes pages, comme celle de LCI datée du 21 mai 2020 et intitulée Violences conjugales : 36% de plaintes supplémentaires lors du confinement, annonce Marlène Schiappa, on trouve en effet ce chiffre et cette annonce.

Mais, lorsque l'on écrit en début juillet une présentation pour le site de France Inter, on peut aller vérifier par exemple sur la page Le vrai du faux, de Franceinfo. Sur une publication datée du 26 mai dernier, le site répond à la question "VRAI OU FAKE Les plaintes pour violences conjugales ont-elles augmenté de 36% pendant le confinement, comme l'affirme Marlène Schiappa ?"

Et la réponse est claire : "La hausse de 36% qu’évoque Marlène Schiappa ne correspond pas à une hausse des plaintes déposées pour violences conjugales, mais à la hausse des signalements et des interventions enregistrés par les forces de l’ordre. Une information que le secrétariat d’Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes a ensuite précisé à la rédaction de France Inter, mais l’erreur continue d’être relayée dans plusieurs articles de presse." En effet...


Et tiens, puisque les médias ont repris l'expression "explosion des violences conjugales" durant le confinement (voir par exemple ici et ) à de très nombreuses reprises, peut-être pourraient-ils revoir si ce fut le cas ?

Nous avons eu ce 3 juillet les résultats des plaintes enregistrées pour cette période spécifique du confinement. Cette étude d'Interstats Délinquance enregistrée pendant le confinement : un premier éclairage - Interstats Analyse N°28 a étudié les plaintes enregistrées pour coups et blessures sur personnes de 15 ans ou plus dans le cadre familial (qui concerne essentiellement les violences dans le couple), en prenant les faits s'étant déroulés effectivement durant la période du confinement.

  • Pour la même période, par rapport à 2019, l'augmentation est de 4%. A titre de comparaison, entre ces mêmes périodes de 2018 et 2019, l'augmentation était de 7%...

  • Les écarts 2020/2019 avant et après le confinement montrent un écart oscillant autour de +20%, que les auteurs de l'enquête sur les données de février attribuent notamment aux effets de la libération de la parole et de l'amélioration de l'accueil dans les services de police/gendarmerie renforcées par le Grenelle des violences conjugales.

  • Ainsi, l'écart par rapport à 2019 est moins important durant le confinement qu'avant et après.

L'augmentation de +4%, alors que le nombre des appels et interventions ont eux augmentés fortement (les fameux 30% et plus qui ont beaucoup été repris) ne confirme en rien une explosion. Elle fut pourtant partout et presque par tous annoncée !


Les données de cette analyse d'Interstats méritent encore de développer certains aspects (notamment sur l'écart 2020/2019 ante et post confinement et la présentation qui en est faîte) mais l'effet de la chaleur sur moi est bien plus important que sur le faux. Peut-être y reviendrais-je en cas de températures plus clémentes.


Lorsqu'il est suffisant à interpeller une société et chacun d'entre nous, un fait n'a pas besoin d'une amplification trompeuse et de présentations tronquées. La violence dans les couples ne devrait pas échapper à cette évidence.



Sur la non-explosion en période de confinement, voir mon article Confinement et violence conjugale : la non-explosion qui interroge



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