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Photo du rédacteurLaurent Puech

Nombre de féminicides : ce chiffre fait-il perdre ses moyens ?


Dans un texte mis en ligne sur le site d'information Slate le 12 avril, Les féminicides sont-ils vraiment en hausse depuis début 2019 ?, Titiou Lecoq souhaite ramener de la complexité devant les affirmations multiples basées sur le nombre d'homicides au sein du couple durant les premiers mois de l'année. Objectif bienvenu, vu la tension dans laquelle évolue le débat, avec un éclairage important apporté à plusieurs situations terribles.


Pourtant, le contenu de l'article, qui vise à ramener de la raison sur ce thème fortement émotionnel, est constellé d'erreurs qui troublent le regard. En fait, on en sort avec quelques idées justes et quelques données... fausses. Étrange sentiment.


Pour ce qui est des clarifications apportées par cet article, on trouve le fait que la comparaison des données entre chiffres officiels et comptabilisation de collectifs ou celui de Libération est erronée. En effet, si les relevés que je qualifierai de militant concernent toutes les relations amoureuses (que l'on soit en couple ou pas), le fameux "une femme tous les trois jours" des données officielles concerne seulement les situations où il y a couple. J'explique ce point dans mon article Violence conjugale : derrière les déclarations alarmistes, une baisse de 25% depuis 2006. Ainsi, la comparaison du type "on est passé de 1 femme tuée tous les 3 jours à une femme tous les 2 jours" est erronée, puisque ce qui est comptabilisé dans le premier cas n'est pas la même chose que ce qui l'est dans le deuxième. Et c'est justement quand elle veut aller à la source des données officielles que Titiou Lecoq va proposer des données fausses en lecture :

"Prenons donc les chiffres de 2017, les derniers chiffres officiels publiés. Ils recensent 130 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint, soit un décès tous les 2,8 jours. Mais si on y ajoute les couples non officiels, on arrive à 151 victimes, soit une femme tuée tous les 2,4 jours."


L'erreur est facilement détectable à la lecture de l'étude pour 2017 : pour arriver à 151, il faut additionner non seulement les femmes victimes qui étaient en couple avec celles qui étaient hors-couple, mais aussi les hommes victimes ! En réalité, les femme tuées qui étaient en situation de couple sont au nombre de 109 et les "hors-couples" 21 comme le montre la tableau extrait de l'étude 2017 :


Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple 2017, page 6

Et les chiffres annoncés comme tirés des rapports annuels précédents sont un peu particuliers. Tout d'abord, la comptabilité adoptée est annoncée comme concernant exclusivement les couples hétérosexuels. Ce qui est compté, c'est donc seulement les femmes tuées par un homme, qu'elle soit en couple ou que ce soit seulement une "relation amoureuse". Quand une femme est tuée par sa compagne, cela n'intéresse manifestement pas certaines féministes...

Reprenons donc les chiffres annoncés par Titiou Lecoq, en se référant aux études nationales dont ils sont tirés, études que j'ai regroupé en un même lieu afin que chacune et chacun puisse les consulter :


"2008 : 167 femmes tuées" : le total des femmes tuées dans leur couple (157) ou hors-couple (12) devrait être de 169 mais sont oubliées les deux femmes tuées par leur compagne : 1 en couple l'autre hors-couple.

"2009 : pas de chiffre" : il y en a pourtant, l'étude nationale pour 2009 est bien accessible et cette année là, les homicides sont comptabilisés en couple et hors couple.

"2010 : 157" : seul chiffre exact du total en couple et hors-couple.

"2011 : 122" : manifestement, le mode de calcul a changé pour Titiou Lecoq. 122, c'est le total des femmes tuées dans la catégorie "en couple", dont une a été tuée par sa compagne (ce qui était jusqu'alors non-pris en compte...). Il manque donc les homicides hors-couple. Ils sont au nombre de 12, mais sans une grande précision puisque l'on apprend dans le rapport que 4 ont été "faits par l'amant/la maitresse" sans que l'on en sache plus. Il y a donc au moins une autre femme tuée par sa compagne cette année là. 8 crimes ont été commis par des hommes.

"2012 : 166" : le total couple et hors-couple est exact avec une réserve toutefois. La partie concernant les personnes hors-couples ne donne que l'auteur.e du crime, et pas la victimes. Nous ne pouvons donc pas connaître le nombre de femmes victimes dans les totaux annoncés. Titiou Lecoq semble l'avoir déduit du fait que si c'est un homme qui est mis en cause comme auteur, la victime ne peut qu'être une femme (il existe pourtant des crimes conjugaux entre hommes homosexuels) et si l'auteur est une femme, la victime ne peut qu'être un homme (alors que l'on a vu que des femmes homosexuelles peuvent aussi tuer leur compagne).

"2013 : 129" : difficile de savoir comment l'auteure arrive à ce chiffre. Le seul précisément donné est 121 (en couple). Pour les hors-couples, comme pour l'année précédente, seul le sexe des auteur.e.s est donné sans que l'on puisse savoir le nombre d'hommes et de femmes victimes.

"2014 : 134" : même problème que pour 2011, 2012 et 2013. Le seul chiffre certain, c'est 121 femmes tuées dans la catégorie "couple". Pour le reste, les 22 cas "hors-couples" ne précisent pas le sexe de la victime.

"2015 : 122" : les données officielles donnent 115 en couple et 8 "hors-couple" avec une incertitude quant au sexe des victimes.

"2016 : 123" : les données sont de 109 "en couple" et 19 "hors-couple" sans pouvoir une fois encore préciser combien de femmes victimes dans ce nombre.


Comme on le voit, il y a des manques de précisions dans les comptages et le champ de ce qui est pris en compte d'une année à l'autre. Cette analyse des chiffres donnés montre à quel point la seule donnée stable et fiable au regard des données produites chaque année par l’Étude nationale, c'est le nombre d'hommes et femmes tuées dans la catégorie "en couple". C'est pour cela que c'est le chiffre le plus indicatif pour mesurer une évolution sur la durée.


Néanmoins, Titiou Lecoq et moi avons un autre point d'accord : les comparaisons nécessitent des études sur du temps long. D'une année à une autre, les variations sont importantes sans pour autant avoir une explication identifiable. La tendance, elle, depuis 2006, est à la baisse. Peut-être que les années qui viennent montreront un changement ? Mais il nous faudra lire les données sans nous embrouiller dans ces recensements terribles.


Pas si facile, comme on le voit. D'où ma question qui forme le titre de mon petit article : aborder le nombre d'homicides consécutifs à de la violence conjugale fait-il perdre ses moyens ?

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