top of page
  • Photo du rédacteurLaurent Puech

Titres d’articles et violence conjugale ou sur enfant : des métonymies piégeuses

Dernière mise à jour : 5 juil. 2020

Des travaux le montrent : une majorité d'articles sont partagés sur les réseaux sociaux sans même être lus. Et je pourrai ajouter que de nombreux articles sont critiqués.... sans même être lus plus loin que le titre. En fait, le titre semble suffire à de nombreuses personnes pour se faire un avis qu’elles considèreront comme « informé ». Pourtant, en général, si un titre « suffit », c’est qu’il confirme ou infirme une idée que nous considérons a priori valide, à raison ou pas.


Deux réactions critiques à mon précédent article, Confinement et violence conjugale : la non-explosion qui interroge, m’amènent à revenir ici sur un aspect fréquent et caractéristique de modes d’argumentations biaisés. Ces deux réactions critiques étaient différentes avec néanmoins un point commun.

La première portait la marque d’une non-lecture de mon article et venait, après insulte, donner des liens vers des articles censés montrer une explosion des violences… mais qui ne montraient en fait que l’explosion des appels, ce que justement je dis dans mon article… La seconde critique venait après avoir contesté les données sur lesquelles je me suis basé dans mon article, et m’opposait un lien vers un article qui souffrait des mêmes limites que ceux de ma première critique…

Le point commun des deux : la confusion entre augmentation des alertes et augmentation de la violence conjugale. Ils m'offrent l’occasion de préciser le piège dans lequel nous pouvons aisément, comme eux, tomber si nous allons trop vite, guidés par ce que nous croyons.


Identifier les Métonymies


Précisons d’emblée ce qu’est une métonymie : selon le Larousse, il s’agit d’un « Phénomène par lequel un concept est désigné par un terme désignant un autre concept qui lui est relié par une relation nécessaire. » C’est donc l’utilisation d’un terme pour désigner un concept proche, relié, mais qui est pourtant différent du terme utilisé.


Cette modification des termes est aussi nommée Effet Paillasson par le physicien Henri BROCH. Il utilisait cette phrase que l'on trouvait à l'époque sur nombre de paillassons : essuyez vos pieds SVP. Évidemment, personne ne retirait ses chaussures et chaussettes pour se soumettre à cette injonction.

Métonymie classique : le mot pieds évoque en fait les chaussures


Violence conjugale ou sur enfants : propices aux métonymies


La violence conjugale comme la violence sur les enfants ne sont pour une bonne part pas accessible de l’extérieur. Ces types de relations et les passages à l’acte qui les caractérisent peuvent en temps normal être peu ou pas visibles par les entourages. En identifier la présence dans un système conjugal/familial est parfois "simple" mais souvent complexe. Pouvoir en mesurer la prévalence et ses variations dans une société est aussi compliqué. La plupart des indicateurs avec un suivi permanent ne mesurent jamais directement les violences au sein des couples ou des familles (chose impossible qui nécessiterait un contrôle systématique et permanent de tous). Dépôts de plainte, de main-courante, de procès verbal de renseignement judiciaire, informations préoccupantes, signalements, appels au 119 ou 3619, appels au 17, sont autant de données intéressantes qui permettent d’agir dans les situations le nécessitant. Cela permet aussi de préciser un niveau de déclarations et d’alertes sans pourtant jamais dire le niveau de présence des violences conjugales ou familiales dans une société.

De fait, comme le précise le Ministère des solidarités et de la santé, « Plusieurs sources de données produites par les organismes du service statistique public sont actuellement disponibles pour éclairer la thématique des violences faites aux enfants en France.

Elles relèvent principalement de deux types :

- Des enquêtes de victimation auprès des populations, interrogeant celles-ci sur les violences physiques ou psychologiques qu’elles ont subies au cours d’une période de référence ou au cours de l’ensemble de leur vie.

- Des données de bases administratives, retraitées pour être exploitées dans une finalité statistique. »

Les premières, ces enquêtes de victimation menées auprès d’un échantillon massif et représentatif de la population, se font a posteriori et souvent plusieurs mois ou années après la période étudiée. Elles sont les plus proches de la réalité notamment car l’on va « chercher » la déclaration des violences sans attendre que la déclaration ou dénonciation spontanée. Elles ont cependant des limites (1).

Les secondes, ces données de bases administratives, ne recensent que des déclarations et actes. Elles sont donc essentiellement le résultat de l'acte déclaratif, lui même issu de son contexte de production, lequel diffère selon les sociétés et époques.


Facilité ou pas à déclarer, des conséquences différentes 
Si dans une population il y a présence de violence dans 10% des couples, mais que dans cette population, les codes sociaux freinent la possibilité de parler et seulement 10% des victimes osent faire une main-courante ou déposer une plainte , c’est alors 90% du phénomène qui échappe au recensement. 
Si dans une autre population avec toujours présence de violence dans 10% des couples, mais où la parole est encouragée et plus aisée que dans le premier cas (ce fut le cas par exemple durant le confinement : campagne appelant à la vigilance, multiplication des points pour parler des situations, mise en place de nouveaux moyens d'alerte), 30% des victimes choisissent de déposer une main-courante ou une plainte, il peut sembler y avoir 3 fois plus de violence dans les couples alors qu’il y a seulement trois fois plus de déclarations.

C’est bien là que se situe le risque de la métonymie : appeler violence conjugale ou familiale, ce qui n’en est qu’une déclaration-signalement. On raisonne alors sur des bases erronées, ce qui produit rarement des décisions pertinentes. Par exemple, on se met à voir des explosions de violences alors que la seule donnée existante est celle d’appels ou signalements. Et, à l’inverse, on pourrait conclure à une baisse des violences si le nombre de signalements et déclarations était en baisse... La carte n’est pourtant pas le territoire.


Ainsi, du fait de la sensibilité du sujet (violence conjugale, violence sur enfants) et des réactions qu'elles suscitent, et vu qu'en plus, elles ne s'approchent que de façon imparfaite et via des données indirectes et parfois faussées, les questions concernant les violences conjugales ou familiales sont propices à des glissements de concepts et termes du type métonymie. Sur ces terrains, le signal semble se confondre facilement avec le fait qu'il est censé signaler.


Or, rappelons-nous que le signalement n'est pas en soi la démonstration du fait : il peut y avoir erreur d'appréciation (des cris dans une famille ne veulent pas automatiquement dire qu'il y a violence familiale) ou erreur d'évaluation (certaines personnes se présentent comme victimes de violence conjugale ou parentale sans que cela soit confirmé par l'enquête sociale ou pénale, c'est même parfois infirmé). Il peut aussi exister plusieurs alertes pour une même situation. Bref, on le voit, il convient d'être prudent (2).


Se méfier des titres d'articles à "métonymie aiguë"


Je rappelais en introduction cette pratique courante et apparemment majoritaire sur les réseaux sociaux : la diffusion d’articles non-lus au-delà du titre. Un bel exemple nous est donné suite à une interview de Marlène SCHIAPPA, Secrétaire d’Etat aux droits et à l’égalité femmes/hommes, sur RTL le 14 mai dernier.





Là, à partir de 2mn 45 jusqu’à 3mn25, on trouve un passage concernant l'évolution des chiffres durant le confinement. Le terme "explosion", qui est utilisé par la journaliste dans sa question, est repris par Marlène SCHIAPPA pour conclure sa réponse via un « oui, il y a eu une explosion des appels et des signalements ». Sa réponse est précise : elle ne confond pas l’explosion des signalements et appels avec celle des violences conjugales.


Trois médias en ligne au moins ont fait dans les heures qui suivent cet entretien un article. Ils nous proposent trois titres différents qui ne disent pas la même chose et parfois même pas ce que l'interview contenait.


Pour Le Quotidien de la Réunion , il y a une hausse des violences conjugales selon Marlène Schiappa, ce qu’elle ne dit pourtant pas.


Pour Le Parisien, c’est une explosion des signalements, ce qui est conforme aux propos.



Et pour Le Figaro, remarquez les guillemets qui attribuent la phrase à Marlène Schiappa «Tous les indicateurs révèlent une hausse des violences conjugales » que pourtant elle ne prononce pas. Comme pour le Quotidien de la Réunion, il y a métonymie entre violence conjugale et indicateurs/signalements.



Confusion métonymique et critiques absurdes


Le champ du travail social est parcouru de ces métonymies. Un terme peut y être facilement utilisé pour un autre. Par exemple, "violence conjugale" est utilisé parfois trop rapidement pour des situations relevant du conflit conjugal.


Nous avons toutes et tous intérêt à les repérer, afin de clarifier les échanges et analyses qui en découlent. C'est un travail exigeant, autant dans la production de son propre discours, que dans la lecture du propos des autres : pairs, responsables, médias, amis, etc. Cela permet de dépiéger des affirmations et de ne pas s'emballer dans des échanges confus, critiques infondées ou attaques stériles.


Et lisons les articles dont les titres nous déplaisent, ou abstenons nous d'en critiquer le supposé-contenu... pourtant inconnu; méfions-nous aussi des titres qui semblent confirmer nos croyances, car notre vigilance s'en trouve abaissée et nous pensons facilement y lire ce que nous souhaitons y lire. Bref, ne relayons pas n'importe quoi et ne critiquons pas n'importe comment.




(1) Dans son livre Viol : Que fait la justice ? (Ed. SciencesPo Les Presses, 2019, pages 39 à 43), la sociologue Véronique LE GOAZIOU montre les limites de ces enquêtes explique en quoi elles offrent un "reflet partiel de la réalité" : types et quantités de questions, période de rappel des événements déclarés, absence de certaines catégories d'âge et/ou de populations, modalités de recueil des réponses; etc. A cela s'ajoutent la difficulté de comparer les différentes enquêtes entre elles ou dans le temps. Elle rappelle aussi la limite du déclaratif, qui peut parfois oublier ou sous-estimer certains faits, mais aussi les sur-déclarer par rapport aux faits réels. Cependant, ces enquêtes de victimation sont des outils forts utiles à la connaissance de l'état de nos sociétés.


(2) Un exemple : dans l'émission C politique sur France 5 le 17 mai 2020, Sophie PARTOUCHE, Substitut du Procureur de Nancy, expliquait qu'il y avait sur le ressort du TGI de Nancy un delta, c'est à dire une différence importante entre l'augmentation des signalements et interventions au domicile pour les violences conjugales, et celui des affaires judiciarisées. Cela indique qu'il y a beaucoup d'interventions mais proportionnellement peu de procédures lancées à partir de ces interventions. Pourtant, il n'y a pas dans ces affaires d'obligation de dépôt de plainte de la victime pour que l'action publique soit mise en mouvement. Quand bien même la victime ne souhaite pas déposer plainte, si la situation relève de violences flagrantes (et l'intervention au domicile suite à un appel d'urgence peut faciliter l'identification de ces situations), une procédure pénale peut parfaitement être ouverte.


bottom of page