[Christophe DAADOUCH pousse un "coup de gueule" sur les priorités en matière d'enfance : l'enfance dangereuse semble une fois de plus avoir pris le pas sur l'enfance en danger...]
Combien de temps ? Combien de temps ?
Rassurez-vous ce billet n’est pas un hommage au chanteur helvète qui nous est cher. Juste un appel à l’adresse du gouvernement qui semble tellement noyé par les retraites qu’il en oublie l’enfance et sa protection.
Plus de 14 mois après l’entrée en vigueur de la loi réformant la protection de l’enfance du 7 février 2022 près de la moitié des décrets d’application prévus par celle-ci n’ont toujours pas été publiés. L’enfance en danger peut attendre ?
Avec une ambition à peine démesurée Légifrance annonce pourtant officiellement depuis plusieurs mois les dates de publication. Tout est là : https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000043668561/?detailType=ECHEANCIER&detailId
Une dizaine d’entre eux sont donc prévus entre octobre et décembre 2022 !! Et pas des moindres puisque parmi eux il y a les règles de parrainage, de médiation familiale prononcée par le juge des enfants, de désignation de la personne de confiance ou d’un administrateur ad hoc. Pis les normes minimales d’encadrement et de suivi des mineurs en établissements hôteliers jusqu’à la suppression –partielle- de ce type d’accueil en février 2024 ne le seront peut-être qu’après à cette date au rythme actuel de la publication des décrets.
Tel le dauphin qui vient bisquer le touriste en sortant de l’eau puis en y replongeant aussitôt, on voit régulièrement apparaitre et disparaitre un projet de décret soumis à l’avis des instances consultatives prévues ou associations nationales.
Et quand une disposition est d’application immédiate la Chancellerie ne trouve pas mieux que de publier une circulaire suspendant son entrée en vigueur à un décret pourtant non prévu par la loi. C’est ainsi le sort fait à l’article 252.6 du Code de l’organisation judiciaire qui permet, par la réforme Taquet, la collégialité des audiences en assistance éducative face aux situations complexes. Alors que la loi ne prévoit aucun décret un tableau annexe d’une circulaire (http://www.justice.gouv.fr/bo/2022/20220531/JUSF2207619C.pdf) entend imposer un décret à paraitre, évidemment non publié à ce jour. Du coup comme le fait récemment remarquer l’Institut du droit de la famille et du patrimoine certains magistrats mettent d’ores et déjà en œuvre la loi quand d’autres s’appuient sur la circulaire et attendent Godot le décret.
A défaut donc des décrets obligatoires, en voilà un publié cette semaine qui n’était ni prévu, et encore moins espéré. Le décret n° 2023-255 du 6 avril 2023 vise à autoriser la création d'un fichier relatif à la prise en charge des mineurs de retour de zones d'opérations de groupements terroristes (dit MRZOGT !). Géré par le ministère de l’Intérieur (sic) il compile des informations sur le mineur, sur ses parents, sur la nature de la mesure d'assistance éducative en cours, des éléments médicaux et psychologiques et des éléments scolaires tel que l’ « adaptation du parcours scolaire (oui/non) ». Quant à la liste de ceux qui peuvent le consulter elle est aussi vertigineuse que celle relative aux informations collectées : préfecture, PJJ, magistrats du parquet, assistants spécialisés radicalisation du parquet, agents du service de défense et de sécurité du ministère chargé de l'éducation nationale, recteur et directeur académique, ARS. Peuvent également être destinataires le directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation, le président du conseil départemental et le directeur du service départemental de l'aide sociale à l'enfance du département de prise en charge du mineur.
Selon le ministère de l’Intérieur [1] ce traitement vise à «empêcher toute rupture de la prise en charge, notamment en cas de suivi social et médico-social interdépartemental ou de déménagement du mineur, et permettre, plus indirectement, la prévention de leur engagement dans un processus de délinquance ou de radicalisation. Le traitement permet ainsi de partager les informations pertinentes entre différents acteurs impliqués dans le suivi et la prise en charge de ces mineurs, et de vérifier que l'ensemble des actions nécessaires au bon suivi des mineurs, telles que la réalisation du bilan de santé initial ou l'inscription dans un établissement scolaire, a été réalisé ». Ce ne sont donc désormais ni le ministère de la Justice, ni celui chargé du social et encore moins celui de l’enfance qui s’assurent de l’action coordonnée de prise en charge d’enfants dont on doit rappeler qu’ils sont plus en danger qu’un enjeu d’ordre public.
Ces retards d’un côté et précipitation de l’autre traduisent au final une bien curieuse conception de l’enfance qui n’est prioritaire que quand elle est menaçante.
[1] Délibération de la CNIL n° 2022-108 du 3 novembre 2022 portant avis sur un projet de décret autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif à la prise en charge des mineurs de retour de zones d'opérations de groupements terroristes (MRZOGT) (demande d'avis n° 22007872)
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