J'ai été contacté le 21 octobre par un journaliste du média social pour avoir mon avis sur l'exposition du jeune collégien de 12 ans qui a été interviewé suite à l'assassinat de Samuel Paty. L'article (voir texte intégral en bas de page) est paru le 22/10. Nous avions là une situation paradoxale : un enfant bénéficiant d'une mesure de protection se trouvait exposé à un danger, celui de parler sur une affaire qui le place dans une situation délicate dans son collège, voire plus largement... Voici la réflexion que j'ai développé et publié sur mon profil Facebook dans la foulée de l'échange avec le journaliste.
"La situation, celle d'un enfant pris en charge dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative par l'aide sociale à l'enfance du 78, pose question, notamment au regard de l'absence d'autorisation de la part des parents qui restent détenteurs de cette autorité. Les choix des professionnels qui accompagnent cet enfant, et qui semblent (mais je n'ai que le communique du conseil département du 78 à l'appui) avoir autorisé et accompagné ce mineur dans l'organisation de ces interviews (notamment France Inter et France 5) soulèvent aussi des questions.
Le journaliste ayant déjà eu plusieurs contacts et n'ayant pour ma part que 8 minutes à lui consacrer (8, pas plus), je lui ai dit ma position devant sa question. Elle tient en trois points :
La question de l'autorité parentale devant l'exposition de cet enfant dans les médias doit être contextualisée ; si ce môme s'était exprimé au micro d'une télé après avoir gagné un match avec son équipe de foot, personne ne soulèverait de question concernant l'autorisation donnée par les parents ou pas.
Le contexte de la parole de ce mineur est celle de l'exposition à plusieurs dangers : exposition au danger de représailles de la part d'autres enfants de ce collège qu'il décrit comme mettant la pression, notamment sur la question religieuse, lui qui se décrit comme athée; exposition au danger de cette parole libre pour lui qui devient par l'apparition médiatique et ce qu'il exprime un symbole là où quelques sanguinaires cherchent à en abattre (et ont déjà montré qu'ils pouvaient s'en prendre à des enfants); exposition au danger sur son équilibre de cette subite notoriété, cette surexposition médiatique qui va rapidement disparaître. Ce contexte rend la question de l'autorisation parentale essentielle, celle de la prise en compte de la position institutionnelle plus vive et nécessaire que jamais.
Ce n'est pas parce que ce môme a parlé avec beaucoup de maturité et a fait du bien avec ses mots à plein d'entre nous (dont je suis) que nous devons en oublier que c'est un enfant; c'est justement parce que ce type de situation (attentat) provoque un risque d'emballement émotionnel et médiatique que nous devons réintroduire, nous forcer à réintroduire de la rationalité, à penser non à partir de nos convictions, mais en envisageant absolument les effets des actes et expositions. Bref, ralentir quand tout nous pousse à aller vite.
Facile à dire pour moi, qui suis loin de l'intervention dans cette affaire. Moins facile pour les professionnels qui y sont intervenus et qui ont fait au mieux. Les éléments critiques que j'énonce à partir de ma confortable position sont un appel à nous servir de cette situation pour réfléchir sans courir à nos envies, à nos instincts, à nos facilités. Pas seulement dans le domaine professionnel. La période ne nous y invite pas. Elle nous y oblige pourtant, si nous ne voulons pas exposer des enfants et adultes, une société, à des préjudices certains.
Je pense à ce jeune, je pense aussi à cette jeune fille qui a manifestement raconté à son père une fausse-cause à son éviction d'une classe, peut-être l'histoire qui pouvait faire de son père son allié plutôt que celui qui est en colère contre elle, et qui se retrouve aujourd'hui avec une vie où elle portera une part de responsabilité dans un assassinat qu'elle n'a certainement jamais imaginé."
Laurent PUECH
Article-texte intégral : "Au collège de Samuel Paty, les prises de parole à risques d'un enfant protégé"
Pendant 48 heures un élève a pu répéter dans les médias des propos appréciés, après l'assassinat du professeur Samuel Paty par un islamiste. Or, aucune autorisation parentale n'avait été donnée pour laisser s'exprimer cet enfant placé. Itinéraire d'un dérapage.
« C’est très grave si on peut se faire assassiner, alors qu’on dévoile une caricature ! » Tout juste abrité par un masque chirurgical, et seul face à la caméra, un collégien de Conflans-Sainte-Honorine exprime tout son effroi. « Si maintenant on montre juste à ses élèves une caricature et bim, on devient raciste, du coup, on peut plus rien dire ! »
Ses paroles impressionnent et peuvent soulager, au lendemain du meurtre du professeur Samuel Paty, décapité dans la rue par un islamiste pour avoir montré pendant un cours des dessins de Mahomet. « Faut continuer à venir, faut pas lâcher, on a le droit de parler... » Le droit de diffuser cette interview, en revanche, n’a pas été donné, à tous les médias qui se sont empressés de la relayer.
Aucun parent n’était à ses côtés pour l’autoriser : le brillant collégien a été confié à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) des Yvelines. Et l’emballement journalistique engagé ce 17 octobre peut désormais être médité par les professionnels de la protection de l’enfance.
Bientôt sur BFM TV
Car avant d’être interviewé tour à tour pour France inter, Libération ou France 5, ce mineur de 12 ans a d’abord été approché par la caméra d’un journaliste indépendant, Clément Lanot, lors d’un hommage spontané, rendu le samedi au collège du professeur assassiné. « Je l’avais autorisé à s’y rendre avec un éducateur », raconte Éric Picard, l’un des deux responsables de sa Maison d’enfants à caractère social (Mecs), Latitudes 78. « Et il n’a demandé d'autorisation à personne avant de s’exprimer », souligne ce pédopsychiatre,
qui découvre rapidement la vidéo, bientôt reprise sur BFM TV, avec ces « belles paroles » sur
« le droit à l’expression, à étudier, à critiquer les religions ». Or le gamin « est assez fier de son
coup », devine le médecin, qui se réjouit que cet épisode lui donne « de l’assurance et de la
confiance dans les adultes ».
C Politique au programme
Mais voilà que d'autres journalistes également bluffés par le garçon le contactent, sur son portable, ou par réseaux sociaux, pour l’interviewer à leur tour. « Il a envie d’y répondre, et ce qui est chouette est qu’il me demande de l’aide », poursuit Éric Picard. Le coresponsable de la Mecs en vient ainsi à étudier ses demandes de presse… L’émission C politique est ainsi au programme, pour le dimanche soir. Mais sa journaliste demande, au passage, si ce mineur a bien une autorisation parentale.
Droit à l'image
« Dès le dimanche à 9 heures du matin, je demande aux cadres de contacter l’ASE », retrace à son tour Pierrick Villain, responsable des accompagnements en hébergement, à la Sauvegarde des Yvelines, l’association gestionnaire de la Mecs. Car la loi est formelle : avant de pouvoir diffuser l’interview d’un mineur, une télévision doit obtenir l’autorisation écrite de son responsable légal, en vertu du droit à l’image.
Pas de feu vert au département
Mais le conseil départemental des Yvelines ne peut délivrer de feu vert. En l’occurrence, pour ce garçon placé, cette responsabilité parentale n'a pas été déléguée. « Et notre rôle n’était pas d’obtenir l’autorisation de la mère, en urgence, un week-end, alors même qu’il ne paraissait pas très protecteur de laisser s’exprimer ce mineur sur des faits aussi graves », explique Sandra Lavantureux, la directrice de l’enfance et de la jeunesse. « Nous avons d’abord cherché à informer la famille, qui nous a fait finalement savoir qu’elle n’accordait pas son autorisation. »
Liberté d'expression
À Latitudes 78, Éric Picard se désole. « Cela ne me paraissait pas être une réponse satisfaisante. Les médias doivent réagir rapidement ! Et je n’allais pas proposer à l'enfant d’attendre plusieurs jours... » Le coresponsable de la Mecs se renseigne donc auprès d’un avocat. Et à écouter son conseil, au fond, « c’est aux journalistes de prendre la responsabilité de diffuser, ou non, sans l’autorisation parentale ».
Le professionnel de la protection de l’enfance, quant à lui, n’aurait qu’à se demander s’il est « bon ou mauvais pour le jeune » de se faire ainsi interviewer. La liberté d’expression, après tout, n'est-elle pas consacrée par la Convention internationale des droits de l’enfant, au même
titre que la responsabilité des parents ? Éric Picard décide donc de passer outre.
Une « occasion exceptionnelle »
Pourtant, témoigner à plusieurs reprises dans des médias nationaux sur un tel acte terroriste relève-t-il bel et bien de « l’intérêt supérieur » de cet enfant ? Le pédopsychiatre y voit, pour sa part, une « occasion exceptionnelle de s’inviter dans le débat national, avec notre accompagnement ». Éric Picard ne regrette donc pas d’avoir mené ce mineur à réaliser ces trois interviews : « On ne peut pas le mettre dans une bulle, on doit lui apprendre à utiliser les médias et son intelligence ! » Les contrats des deux responsables de la Mecs ont depuis été suspendus.
Les envies et les cadres
À la Sauvegarde des Yvelines, pourtant, Pierrick Villain ne souhaitait « pas forcément interdire » cette prise de parole publique. « Mais quelles étaient les conséquences possibles pour l’enfant, sur son développement, sur son inscription dans l’établissement, sur sa sécurité ? Il fallait, tout d’abord, prendre le temps de se concerter et ne pas agir dans l’urgence. »
S’il encourage certes les professionnels à « soutenir les enfants dans leurs envies et leurs besoins », il les invite aussi à ne pas « oublier les cadres, qui ne sont pas que des empêchements mais évitent de se perdre et aident à réfléchir ». À ses yeux, l’éducatrice spécialisée et le pédopsychiatre ont sans doute été « pris avec ce jeune dans une trop forte relation d’aide, qui les a empêchés de se décaler et de prendre le recul nécessaire ». Il n’envisage d'ailleurs la suspension de leurs contrats que comme un moyen de se « donner le temps » de comprendre comment ces « professionnels de valeur » ont pu réaliser cette faute.
Médias fautifs
Le département des Yvelines, quant à lui, s’est fendu d’un communiqué, le 20 octobre, pour
condamner « la surexposition médiatique d’un mineur confié », et souligner que les deux
professionnels n’avaient pas été habilités à autoriser les interviews. Mais le conseil
départemental blâme aussi « la manière dont les médias se sont abstenus » de s’assurer de
l’autorisation parentale, et de protéger l’anonymat du mineur. « Il est clair que ce jeune a dit
ce que tout le monde avait envie d’entendre », reconnaît Sandra Lavantureux. « Mais je me demande encore comment des journalistes ont pu lui tendre le micro sans s’interroger sur son âge ! »
Retour à l'anonymat
Et après ces 48 heures de célébrité soudaine, comment le mineur des Yvelines vit-il son retour progressif à l’anonymat, ainsi que ces inquiétudes nouvelles pour sa sécurité ? Inutile de le demander à Pierrick Villain. Afin de mettre un terme à sa médiatisation incontrôlée, il ne
souhaite plus parler de ce jeune protégé.
Laurent Puech : « Ces périodes nous obligent à ralentir »
« Avec un môme qui parlerait de son club de foot à la télé, le droit à l'image ne ferait guère débat. Mais ici un gamin de 12 ans se retrouve dans une double surexposition, non seulement médiatique, mais aussi au danger, ne serait-ce que par rapport aux grands de son collège. Sans faire de procès, je pense que dans ces moments de forte émotion, nous, adultes, pouvons parfois oublier notre filtre de la raison. Ces périodes nous obligent au contraire à être encore plus précautionneux et à ralentir. »
Laurent Puech anime notamment le blog protections-critiques.org, consacré aux « approches de protection en travail social.
Olivier BONNIN"
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