Quand une institution a peur de ses professionnels, de leur prise de parole, elle le montre par des signes parfois maladroits. Quand elle écrit noir sur blanc ce qui est en général redouté tout bas, il y fort à parier que, réel ou fantasmé, elle sent le danger très présent.
Ce blog n'a pas vocation à être un lieu de plainte et de dénonciation sur ce que vivent les professionnels du social et du médico-social. J'ai expliqué pourquoi ici et là. Cependant, montrer ce que produisent certaines institutions éclaire dans quel contexte évoluent celles et ceux qui produisent la protection aujourd'hui. C'est pourquoi je souhaite évoquer ici cette note qu'un.e professionnel.le m'a fait parvenir.
Cette note de service est diffusée depuis février dernier à ses professionnels par une institution dont je ne dirais ni le nom ni le lieu. Les professionnels concernés la reconnaitront et pour les autres, seule la situation importe sans besoin d'une identification. Ce document précise les modalités de mise en place de groupes d'analyses de la pratique professionnelle et propose des précisions sur ce qu'est l'APP, sa définition et les attendus.
La lecture se passe bien jusqu'à ce que l’œil soit accroché par deux phrases : "Les sessions d'analyse de la pratique ne doivent en aucune façon être le lieu de remise en cause de l'institution, du cadre de proximité et du système managérial. Ce n'est pas le lieu."
Une première question se pose : sachant que la pratique du professionnel est impactée par les modes de management, les organisations de travail, les rapports avec son encadrement, les orientations politiques de l'institution, quel effet provoque une telle interdiction ("ne doivent en aucune façon") ? Elle dé-contextualise la pratique du professionnel. Or, un acte professionnel se produit dans un contexte qui l'impacte plus ou moins selon les cas.
Une deuxième question suit la première : qu'est-ce qui reste de la pratique professionnelle si on enlève le contexte et son poids ? De la technique et la personne elle-même. Si les éléments descriptifs de ce qui lui pose question sont seulement d'ordre technique et personnel, c'est du côté de l'individualisation et du psychologique que l'on ira rapidement chercher, gratter, expliquer. Cette dimension est importante, mais réduire l'analyse de la pratique professionnelle à l'analyse de la personne du professionnel, c'est une drôle de voie.
Le plus rassurant est que cette consigne-interdiction absurde ne pourra pas être suivie. Chassez le management, les relations avec les cadres et l'institution, et ils reviennent au galop. Ils sont là, de fait, et vouloir les protéger de toute parole critique ne montre que leur fragilité réelle ou supposée.
Plus encore, elle montre que dans cette institution, du côté des directions, on a peur des professionnels, on a peur de leur regroupement dans un même lieux pour échanger de situations de travail. La maladresse de cette directive de la direction diffuse un message implicite paradoxal : professionnels, si nous donnons une consigne avec autant de force, c'est que lorsque vous vous concertez et parlez, nous nous sentons fragiles.
Ce genre de demande institutionnelle est fréquente , même si la plupart du temps, elle n’est pas aussi claire que dans cet exemple... de la même façon, la,recherche de « connivence » est régulière de la part du « payeur ». certes ces institutions sont profondément criticables, mais que dire des praticiens qui y consentent ... à titre personnel, je ne compte pas le nombre de refus DE MA PART, d´intervenir dans des structures de ce type...mais cela a des conséquences sur le chiffre d’affaire 😉