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  • Photo du rédacteurLaurent Puech

Histoire du forçage au dépôt plainte pour certaines femmes...


Donc, comme nous l'avons vu dans mon précédent billet Violence conjugale : ces femmes privées de leur droit de déposer une simple main-courante, sur certains ressorts de Tribunaux de Grande Instance, les directives des Procureurs sont claires concernant les faits de violence conjugale : ils et elles ne veulent plus voir une main-courante, quand bien même une femme souhaite en déposer une et ne souhaite pas déposer plainte.


Comment est venue cette idée ? D'un constat, qui est plusieurs fois mentionné en 2009 dans le Rapport Bousquet-Geoffroy au nom de la Mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faîtes aux femmes. Dans les commissariats, trop de fois, des femmes voulant déposer plainte repartaient avec une simple main-courante, alors que les éléments infractionnels nécessaires à la prise de plainte étaient bel et bien présents dans la déclaration de ces femmes. Cet évitement de la plainte revêtait plusieurs formes : manque d'information de la personne qui pensait que les deux se valaient, annonce culpabilisatrice par le fonctionnaire de police du type "si vous déposez une plainte, votre mari risque d'aller en prison"... Bref, pas de plainte prise, donc pas d'enquête à mener. Et ce type d'enquête ne permet souvent d'entrevoir qu'un classement sans suites, notamment lorsque aucun élément de preuve n'est possible (faits sans témoin ni éléments matériels constatables).


Le constat est juste : trop de fois, cette situation arrivait dans les commissariats. Et ces femmes retournaient vers des associations d'aides aux femmes victimes de violence conjugale, racontaient comment leur demande de plainte avait été non-traitée. Ces associations ont fort justement fait remonter ce problème auprès des autorités. Mais laisser à l'agent qui prend la plainte la possibilité de définir si ce sera main-courante ou plainte existait encore. La demande de certaines de ces associations (pas toutes, d'autres souhaitant le maintien de la main-courante) s'est donc précisée : il ne faut plus prendre de main-courante en matière de violence conjugale. Fort efficace sur le papier. S'il n'y a plus de main-courante possible, seule des plaintes pourront être prises. Ainsi, celles qui veulent déposer plainte pourront systématiquement le faire. Le problème serait donc résolu pour elles. Mais les autres ?


Si la mission d''évaluation de 2009 ne souhaitait pas la suppression de la main-courante malgré les demandes de certaines associations, c'était justement en raison des effets préjudiciables pour celles qui ne souhaitaient pas déposer plainte mais dire, alerter, trouver un interlocuteur... La Mission d'évaluation préconisait d'autres types de réponses pour aider les femmes victimes de ces violences. La Circulaire de 2014 [1] a maintenu cette possibilité de déposer une simple main-courante. Mais, confirmant le protocole-cadre qui lui sert de référence, elle exige d'y mentionner les raisons pour lesquelles la personne ne veut pas déposer une plainte et "dans la mesure ou aucun fait grave n'est révélé". Plutôt que la suppression de l'outil, c'est une restriction des possibilités de l'utiliser par l'élévation des conditions à satisfaire...


En 2009, le rapport Bousquet-Geoffroy prévenait : "(...) il ne faut pas négliger les facteurs institutionnels et procéduraux qui pourraient décourager les femmes victimes de signaler les violences qu’elles subissent et éliminer les obstacles qui conduisent les femmes victimes, par impossibilité de faire valoir leurs droits, à garder le silence sur les violences subies." (page 153)


En 2019, il reste nécessaire d'interroger les fonctionnements institutionnels qui, partant d'un juste constat, aboutissent à des réponses contre-productives pour un nombre important de ces femmes, celles qui sont "hors-radars"...



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